Le respect : numéro actuel

Dans nos esprits, le respect s’unit aisément à la bienveillance,
l’écoute, la tolérance, dont nous pensons qu’elles sont absolument
nécessaires pour qu’une vie sociale soit possible. Sans respect mutuel, sans respect des lois, morales ou civiles, des règles de la civilité, de l’autorité, de la hiérarchie… il nous semble que le monde serait un parfait chaos, une « jungle », où le plus faible, l’enfant, le malade, le vieillard, se verrait immanquablement éliminé. Préjugés, cependant.
Quand on y réfléchit – et l’on y réfléchit peu, tant les choses
nous paraissent aller de soi, on s’aperçoit en effet que la notion de
respect n’est pas si évidente, et, plus encore, que se dissimule en elle
sa stricte antithèse. Car l’exigence de respect, qu’elle émane d’un
particulier ou de la société dans son ensemble, peut être parfois
d’une grande violence. C’est au nom du respect que les rapports de
domination se perpétuent, au nom du respect que les droits et libertés
individuels sont bafoués, que notre aspiration au changement est
réprouvée, qu’un conservatisme mortifère censure toute espèce de
progrès … Ainsi, pour que le monde soit vivable, c’est-à-dire qu’il
demeure un monde humain, il faut aussi de l’irrespect, de l’irrévérence,
de la révolte ; il faut aussi lutter contre l’injonction au respect.
S’il revient aux philosophes de prendre à bras le corps cette
notion beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, leurs analyses
doivent également trouver un écho dans les domaines du réel où
elle est opératrice. Du respect de la nature au respect des traditions,
du respect d’autrui au respect de soi, il convient donc de mettre le
respect en « questions ».