Le revue Approches vous propose de lire les extraits d’articles des auteurs qui ont contribué au numéro 189, Le féminin.
Chaque extrait est proposé à la vente dans sa version intégrale au format numérique.
Le féminin : extraits d‘articles
Extrait du texte de
Elise Legendre
» Peut-estre qu’entre nous il est de beaux Esprits« : Défense et illustration du féminin chez deux poétesses galantes du XVIIe siècle
« Le panthéon poétique du XVIIe siècle est avant tout masculin : Théophile de Viau, Malherbe, La Fontaine, ou encore Boileau sont les noms que la tradition scolaire a retenus. Le « Grand siècle » serait ainsi le siècle du masculin en poésie. Pourtant, en parallèle de ce paysage poétique pour le moins viril, ce siècle est aussi paradoxalement celui de la naissance de la femme de lettres. Toutefois cette dernière a mis de longues années a s’établir. Sous le règne de Louis XIII et la première partie de la Régence, la querelle des femmes est encore très active et presque aucune femme n’accède au rang d’autrice professionnelle. Entre 1597 et 1635, Renate Kroll ne comptabilise que six autrices au corpus poétique très mince (la duchesse de Bar, Catherine de Cailly, Mme Motin, Mlle de Gournay, Anne de Rohan, Mlle de Salètes). Les travaux de Ian Maclean ont permis cependant de montrer comment l’image d’une femme triomphante émerge tout de même dans une nouvelle approche féministe entre 1610 et 1652. Plusieurs grandes manifestations du féminisme dans ces années-là, notamment …
Extrait du texte de
Christine Noël-Lemaitre
Ce que les « maladies de femmes » nous apprennent de la représentation du féminin dans le savoir médical du XIXe siècle à nos jours
Hommes et femmes ne sont pas égaux face à la maladie. Loin
de là. La médecine nous apprend que certaines maladies
concernent majoritairement – parfois presque exclusivement – les
femmes. Si on exclut les maladies gynécologiques qui affectent les
organes spécifiquement féminins comme parmi d’autres l’endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques, on peut être surpris de constater l’existence d’une forte sur-représentation de la population féminine dans certaines maladies dont les mécanismes sous-jacents ne sont pas toujours clairement élucidés notamment dans des maladies auto-immunes comme le lupus ou la thyroïdite d’Hashimoto. Cette surdétermination féminine caractérise l’hystérie, trouble connu depuis l’Antiquité, appréhendé au Moyen-âge comme comme l’indice d’une possession démoniaque, puis au XIXe siècle comme la conséquence d’une incapacité spécifiquement féminine à gérer ses émotions. Briquet voyait ainsi dans l’hystérie la manifestation de la souffrance de la portion de l’encéphale destinée à recevoir les impressions tandis que Ball y voyait quant à lui l’indice de la faiblesse et de la duplicité des femmes désireuses avant tout d’attirer l’attention vers elles. Les travaux du neurologue …
Extrait du texte de
Maxime Sayer
Ambivalence et ambiguïté du personnage féminin dans les romans de Victor Hugo
Il semblerait que dès qu’il s’agit d’aborder la question du rapport qu’entretient Hugo avec le sexe féminin, chacun ait son mot à dire. Les hugolâtres aveugles voient en lui le grand féministe du siècle, car défenseur des droits des femmes, notamment du droit au divorce. Les « ennemis » de Hugo dont parle Jean Gaudon n’oublient pas de pointer du doigt sa relation adultérine avec Juliette Drouet, ainsi que son omnipotence patriarcale au sein de la famille. Les deux points de vue ne cessent de s’opposer, et à eux deux s’ajoutent les histoires mythifiées de l’amour inconditionnel du jeune Hugo pour sa mère vendéenne, celle d’une rivalité entre frères pour conquérir Adèle, ou encore celle, plus connue sans aucun doute, de la mort de la fille – celle qu’on croit être la seule – chérie de son père : Léopoldine. Face à ces opinions contraires et souvent non fondées, il est certainement plus pertinent de ne pas étudier le rapport qu’entretient l’auteur, en tant qu’homme, avec le féminin, mais plutôt d’analyser ce même rapport au sein de son œuvre, et particulièrement ici de son œuvre romanesque. Les personnages féminins, en effet, ne manquent pas, même s’ils sont assez faibles et caricaturaux dans les romans de …
Anaïs Nin et la jouissance féminine
Lorsqu’on s’interroge sur « le féminin » et qu’on tente de cerner ce qui peut bien se cacher sous ce concept, en cherchant par exemple dans la littérature des figures de femmes marquantes qui pourraient nous renseigner sur la question, on est immanquablement amené à penser à Anaïs Nin : cette femme à la réputation sulfureuse, auteure d’un « Journal de l’amour » dont la version non expurgée a été publiée après sa disparition, incarna LA femme pour beaucoup d’hommes et de femmes. Freud ne la connut pas, lui qui déplorait ne pas être parvenu à connaître ce « continent noir » du féminin que sa découverte de l’inconscient n’avait que peu contribué à éclairer. Lou Andreas Salomé, avec qui il entretint une longue correspondance, prolongea son questionnement et fut d’ailleurs pour Anaïs Nin une inspiratrice lorsqu’à la fin de sa vie il lui fut demandé de témoigner sur ce que signifiait être une femme à son époque. Freud, malgré une conférence sur la féminité en 1931, avait avoué à Marie Bonaparte, analysante et amie du psychanalyste, que malgré ses trente années d’étude du sujet féminin, jamais il n’avait pu résoudre l’énigme de la sexualité féminine et que c’était aux poètes qu’il fallait…
Extrait du texte de
Sveltana Tyaglova-Fayer
Le « féminin » dans les croyances humaines à l’aube du Néolithique : du monothéisme féminin vers le monothéisme masculin ?
Dans cet article, nous tentons de comprendre les processus de transformation sociale des croyances humaines qui ont eu lieu
entre les 6e et 4e millénaires avant J.-C., en employant une approche pluridisciplinaire et systémique. Cette méthode combine des données archéologiques, génétiques, anthropologiques, ethnologiques et linguistiques pour comprendre l’évolution des croyances en tant que système d’ensemble sur un large horizon culturel. Il convient de noter que dans la plupart des cas, les données qui nous permettent de « lire » les artefacts archéologiques dans leur contexte global en retraçant l’évolution de leurs concepts dans l’espace-temps, proviennent des sépultures. Par conséquent, dans la plupart des cas, nous sommes obligés d’observer les croyances à travers les rituels funéraires. Dans cette optique, nous examinerons les similitudes et les parallèles, en comparant les rituels dans différentes cultures, du Paléolithique à l’âge du Bronze. Nous nous pencherons sur un changement important survenu au cours de…
Extrait du texte de
Sylvie Peyturaux
Une expérience spéciale de l’incarnation ?
Comment penser le féminin ? Le discours philosophique s’attache
peu, en effet, aux cas particuliers, et si les femmes ne sont certes pas minoritaires, elles ne constituent pourtant qu’une partie de l’humanité. Notre démarche est donc embarrassée. Devons-nous tenter d’en cerner les caractéristiques propres, quitte à frôler la caricature ? Ou bien aborder la question selon des concepts universels, du moins généraux, au risque de rater notre objet ? Ainsi, dans la mesure où les femmes participent du « genre humain », tout ce qui en est dit doit aussi pouvoir se dire des hommes. Mais, puisque la différenciation sexuelle existe indéniablement, une réflexion sérieuse ne peut en faire l’économie.
Il nous faut donc trouver une voie médiane, et l’existentialisme
de Sartre, existentialisme athée, pourrait nous y aider. Il s’agit en
effet d’une philosophie de la liberté, laquelle se confond avec notre
être et, parce qu’aucune nature humaine, pas davantage une nature
féminine ou masculine – nous l’ajoutons – ne viennent déterminer
ce que nous sommes, liberté que nous ne pourrions supporter sans
le secours de la mauvaise foi. Il n’en résulte pas…
Le féminin des corps masculins ou la menstruation fin-de-siècle
Vielleicht interessiert es Dich so nebenbei, dass Martha die ersten Kindsbewegungen bei Annerl am 10. Juli verspürt hat. Am 3. Dezember war die Geburt. Am 29. Februar trat die Periode wieder ein. Martha ist seit ihrer Pubertät regelmäßig gewesen. Ihre Periode beträgt etwas über 29 Tage, sagen wir 29 1⁄2. Nun sind vom 3. Dezember – Februar 88=3X29 1/3 […]
Für eine Periode von etwas über 29 Tagen ist also die Geburt
gerade rechzeitig erfolgt und die ersten Kindsbewegungen zum fünften Menstruationstermin.
Herzlischste Grüsse an Dich, Ida, W.-R.
Dein Sigm.
Peut-être cela t’intéressera-t-il, en passant, d’apprendre que
Martha a ressenti, pour Anner, les premiers mouvements de l’enfant le 10 juillet. Le 3 décembre, c’était la naissance. Le 29 février, la période est revenue. Martha a été régulière depuis sa puberté. Sa période couvre un peu plus de 29 jours, disons 29 1⁄2. Donc cela fait 3 décembre – 29 février : 88 = 3×29 1⁄3. […]
Pour une période d’un peu plus de 29 jours, la naissance a eu
lieu exactement à temps et les premiers mouvements de l’enfant à la
cinquième occurrence de la menstruation.
Mes salutations les plus cordiales à toi, Ida, W.-R.,
Ton Sigm.
Étrange lettre que celle que Sigmund Freud envoie à son disciple
Wilhelm Fließ le 4 mai 1896 ! Dans la correspondance que les
deux amis échangent quinze années durant, les règles de Martha
Freud sont scrupuleusement relevées par son époux qui envoie le
calcul de leur régularité à son ami. En cette fin de siècle, celui-ci
est en effet en train…
Un concept chargé et fuyant :
le féminin
Le féminin, concept chargé de connotations datant d’époques où
l’on acceptait généralement l’idée selon laquelle le masculin et
le féminin s’opposaient dans une conception du monde qui séparait avec acharnement les genres en rôles hiérarchiques immuables et définis par des forces naturelles, existe-t-il seulement ? Lorsqu’on tente une définition, on se heurte à des obstacles de taille : les manifestations de ce qu’on qualifiait de féminin sont sociales et ce qu’on désignait comme naturel a été maintes fois mis à mal par des analyses qu’on ne peut ignorer. Si le naturel n’inclut pas tout ce qui est contenu dans l’Univers y compris le cerveau humain et ses inventions, il n’y a pas de nature. Ce qu’on y opposait, la culture, n’est autre qu’une vaste fiction qu’on pourrait nommer sociofiction dans laquelle la plupart des participants acceptent une version commune d’une histoire racontée avec un contrat qui s’apparente au contrat de lecture (Véron, 1985) et tout ce que cela suppose : des règles, des lois, des contrevenants, des contestations, des révolutions, des prisonniers et des névroses. Les névroses qui découlent du concept du féminin…
Extrait du texte de
Dominique Tabone-Weil
Du féminin pur à l’envie du féminin
Dominique Tabone-Weil*
Féminin pur
Le féminin pur est un concept étrange ou du moins surprenant
(peut-être l’« impur » que produit phonétiquement en français
l’accolement de féminin et de pur y est-il pour quelque chose ?) qui
surgit dans l’œuvre tardive de Winnicott, quelques années avant sa
mort.
Le texte date de 1966, on le trouve dans le recueil intitulé Jeu
et réalité et dans le chapitre concernant la créativité et ses origines.
Ce développement survient après l’exposition assez époustouflante
et on ne peut plus winnicottienne d’un fragment de clinique analytique concernant sa découverte d’un clivage entre les éléments de l’autre sexe et le reste de la personnalité d’un individu donné. Soit chez le patient homme dont il nous parle, le clivage de l’élément féminin, clinique sur laquelle on reviendra un peu plus loin. Winnicott précise dans ce texte que c’est la première fois qu’il est amené à penser (« accepter » dit-il plus exactement, p. 106) cette dissociation complète entre ces deux parties d’un individu, ce qu’il voit comme un échec de constitution de la bisexualité psychique – laquelle permet idéalement une coexistence harmonieuse et une intégration des éléments masculins et féminins…
Extrait du texte de
Ewa Lewinson
Le Banquet des Empouses, d’Olga Tokarczuk, l’éloge de la différence
Comme Hans Castorp dans La Montagne Magique de Thomas
Mann, Mieczyslaw Wojnicz ouvre le roman Le Banquet des
Empouses en grimpant sur la colline où se situe le sanatorium pour
les malades de la tuberculose. Les deux protagonistes ont le même
âge et les deux récits se déroulent en 1913. Le premier se situe à
Davos, et le deuxième en Silésie, à Görbersdorf qui fut le précurseur de cures contre les maladies respiratoires en climats froids. Plusieurs épisodes et les personnages se font écho. Toutefois, c’est en lisant Tokarczuk qu’on s’aperçoit de l’absence des femmes sur la Montagne Magique ou plutôt on ne prête pas attention à ce sujet. La seule présence féminine est celle d’une mystérieuse femme russe, Clawdia Chauchat, qui concentre en elle tous les clichés du féminin : une beauté blonde venue d’ailleurs, un port physique hautain et inaccessible, une belle élégance vestimentaire. Aucune parole, et les regards interrogateurs des hommes lorsqu’elle traverse, faussement indifférente, la salle à manger.
Tokarczuk emprunte à Thomas Mann ce personnage, inséparable de son chapeau, mais on la croise à la sortie d’une église orthodoxe russe, telle une icône moderne. À la fin du roman…