Contenir l’irrationnel, Christian Cavaillé

En parlant de « l’irrationnel » nous tentons de désigner en le rassemblant tout ce qui est étranger, inaccessible ou contraire au « rationnel ». Corrélativement, « le rationnel » serait un déploiement discursif-explicatif coordonnant médiations et rapports d’une façon transparente et maîtrisée dans un agencement unitaire ; on désignerait ainsi un ensemble de réalisations objectives plutôt qu’une capacité subjective, l’exercice de la Raison ne prenant sens que dans et par ces réalisations. L’« irrationnel » inquièterait, mettrait en cause, menacerait, détruirait le « rationnel » : le mettrait au défi.

Le rationnel pourrait « contenir » l’irrationnel dans tous les sens du terme : retenir dans des bornes ou des limites mais aussi retenir et avoir en soi-même. Il s’agirait au moins de contenir hors de soi et en soi tout ce qui tend à affaiblir, obscurcir, désordonner, assujettir, briser le déploiement explicatif, la coordination et l’agencement unitaires. Il s’agirait au mieux de faire de la rencontre ou confrontation avec l’irrationnel comme altérité ou contrariété le motif d’un affermissement, d’une extension et d’un approfondissement du rationnel à l’épreuve des obstacles comme occasions d’inventer de nouvelles ressources. L’irrationnel serait ainsi contenu et en un sens compris. On en reconnaîtrait lucidement la persistance et la force sans prétendre le connaître intégralement. On pourrait le réduire mais non l’éradiquer même si l’espoir de l’anéantir soutient […]