Métaphysique de l’eau
Sylvie Peyturaux*
Il y a en l’eau quelque chose qui inquiète et séduit, en raison de son équivocité, symbole de vie et de mort, du temps qui passe et de l’oubli.
Sur l’eau, dans l’eau, face à l’eau, il ne s’en faut que de quelques instants pour que le fil de nos pensées s’adapte à son mouvement, ininterrompu, fluide, comme ne le sont que trop rarement nos réflexions. Pour le philosophe, habitué à la clairvoyance du concept, aux contours stables et permanents des Idées, à l’immuable des lois logiques, l’eau pourrait bien être une source d’inspiration. Elle est en effet à l’image de ce travail de l’esprit, dont nous n’apercevons d’ordinaire que le produit, figé, face à la conscience réfléchie, comme la glace arrête pour quelque temps le fleuve ou le torrent. Qui contemple l’eau, qui médite ou rêve, comprend ainsi que nos pensées sont, comme elle, mouvantes, indistinctes, confuses… tant qu’un rude effort intellectuel ne les a pas fait passer par le filtre du langage et la précision du concept. Invitation à une plongée en soi, en deçà d’un « soi-même » par lequel nous saisissons notre identité, qui serait propre à perpétuer le dynamisme de l’esprit.
L’eau, l’être et le temps
L’eau s’écoule, comme le temps ; à moins que le temps ne s’écoule, comme l’eau… « Panta rhei 1». Ainsi s’énonce l’instabilité de toute chose.
Méditer sur l’eau, c’est méditer sur l’impermanence de l’être, son renouvellement continuel, toujours un et identique à soi mais aussi autre et différent de lui-même. Héraclite – dit « l’Obscur » –, […]
1 – « Tout coule » ou « tout s’écoule ». Héraclite d’Éphèse (vers 500 av. J.-C.), Fragments, fr.136, td. Marcel Conche, Paris, PUF (« Épiméthée »), 1986, p. 467.
* Agrégée et docteur en philosophie, Sylvie Peyturaux enseigne en Classes préparatoires aux Grandes Écoles.
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N°187 – L’eau17,00€