Le « grand combat » de Henri Michaux
Daniel Bergez*
« Le Malheur, mon grand laboureur,
Un certain Plume, « Repos dans le Malheur »
Le Malheur, assieds-toi,
[…]
Dans ta lumière, dans ton ampleur, dans ton horreur,
Je m’abandonne. »
En quelques vers, le poète Henri Michaux (1899-1984) dessine la scène originelle de son œuvre : un tête-à-tête, un corps à corps avec ce double de soi-même qu’il nomme « Malheur », et qu’il va lui falloir apprivoiser, jusque dans le renoncement. À une époque où l’on débat de la « poésie de circonstance » – dont l’épreuve de la Résistance réactivera l’ambition –, Michaux place obstinément le questionnement poétique dans l’« espace du dedans » – selon le titre qu’il donna en 1966 à l’anthologie de ses œuvres que lui avaient demandée les éditions Gallimard. S’il prolonge certes la tradition de la poésie lyrique, c’est cependant en appréhendant toujours, avec effroi ou résignation, à quel point l’intimité est non pas le lieu du rapatriement et de l’identité retrouvée, mais celui de l’affrontement et de l’altérité, jusqu’à se perdre démesurément : « À force de souffrir, je perdis les limites de mon corps et me démesurai irrésistiblement. » (Mes propriétés, « Encore des changements »). […]
* Daniel Bergez, Agrégé de l’université, est Docteur d’État ès Lettres et Sciences Humaines. Auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’analyse littéraire, il est spécialiste des relations entre littérature et peinture. Directeur de collections, critique et écrivain d’art, il est aussi artiste-peintre. Derniers ouvrages parus : Écrire la mer (éd. Citadelles et Mazenod, 2020) ; La première fois qu’Aurélien vit Bérénice. Scènes amoureuses de la littérature (éd. A. Colin, 2021).
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N°185 – Combattre17,00€