De la raison et de la foi
Sylvie Peyturaux
Ouvrage remarquable de complexité, les Pensées se présentent comme une apologie de la religion chrétienne. Si le libertin – l’incroyant – n’est sans doute pas le seul interlocuteur de Pascal, de très nombreux fragments lui sont pourtant destinés, à commencer par le célèbre Pari1. Cependant, il ne s’agit pas de lui donner ainsi des raisons de croire car, selon Pascal, la foi ne relève pas de la rationalité. « C’est le cœur qui sent Dieu », écrit-il en effet, « non la raison. Dieu sensible au cœur, voilà ce que c’est que la foi2 ». Tout juste la raison conduira-t-elle l’esprit à la religion, mais la foi ne peut naître du raisonnement. Elle est une grâce, un don de Dieu, « sans quoi elle n’est qu’humaine et inutile pour le salut ». On n’en déduira pas que la foi est irrationnelle ni que le cœur et la raison sont ennemis, mais que les vérités du cœur sont inaccessibles à la raison. Le cœur nous donne également connaissance des premiers principes que la raison peine à démontrer. Ainsi, par exemple, « qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre3 ». Deux vérités, l’une intuitive et immédiate, la seconde saisie de façon discursive et, par conséquent, vulnérable au doute. Le cœur venant suppléer les défaillances de la raison, il est raisonnable et juste que la raison s’y soumette4.
Faisant de la soumission au cœur le geste ultime d’une raison qui irait au bout de sa rationalité, Pascal élabore une conception de […]
1 – Blaise Pascal, Pensées, 1670, édition Lafuma (L.) 418 – édition Brun- schvicg (Br.) 233.
2 – Ibid., L. 424 – Br. 278.
3 – Ibid., L. 110 – Br. 282.
4 – Ibid., L. 174 – Br. 270.
* Agrégée et docteur en philosophie, Sylvie Peyturaux enseigne en Classes préparatoires aux Grandes Écoles.
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N°186 – L’irrationnel17,00€