Le respect
Le revue Approches vous propose de lire les extraits d’articles des auteurs qui ont contribué au numéro 190, Le respect

Chaque extrait est proposé à la vente dans sa version intégrale au format numérique.
Le respect : extraits d‘articles

Extrait du texte
de Gilles D.Perez

Le respect d’autrui : Une exigence impossible ?

Il n’avait pas non plus l’envergure d’un héros
car il n’était pas pathétique.
Quel manque de chance !
L’unique survivant n’avait pas l’envergure d’un héros1.
Hanna Krall

Avec le respect d’autrui, la grammaire et la morale font bon ménage ! Ce double-génitif énonce en effet un principe à la fois fondamental et minimal de l’éthique, sans lequel les relations sociales seraient brisées par toutes les formes de violence. Si je ne peux exiger l’amour de tous ni aimer de manière universelle, je ne saurais me passer du respect de chacun, ni me soustraire à ce dû qu’il est en droit d’exiger de moi. En ce sens, le respect mutuel instaure une distance qui fluidifie la circulation libre des uns et des autres au sein d’un espace commun. Il protège de l’offense, de l’injure, de la raillerie qui méprise, et des agressions de toute nature. C’est un principe hautement utile qui n’est pas sans rappeler, du moins en apparence, celui énoncé par Hillel l’Ancien : ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à autrui. Or tout le problème est là : ou bien on considère que ce que je dois à autrui découle de la préservation de mon intérêt bien compris, ou bien on envisage cette relation de manière plus complexe et il faut entre les deux quelque chose qui assure leur liaison.


Extrait du texte
de Elmehdi Elmaouloue

Le respect dans le mariage de plaisir de Tahar Ben Jelloun : normes, transgressions et quêtes identitaires

Dans le paysage littéraire marocain d’expression française, Tahar Ben Jelloun profite d’une place singulière, celle d’un écrivain-ethnologue dont l’œuvre interroge avec acuité les fractures identitaires et les paradoxes des sociétés postcoloniales. Le Mariage de plaisir, roman polyphonique ancré dans l’histoire récente du Maroc, se présente comme une plongée dans les méandres d’une nation en proie a des dilemmes entre la sacralisation des traditions et les sirènes de la modernité. A travers le destin croisé de personnages aux trajectoires tumultueuses, Amir, commerçant prospère de Fes ; Nabou, épouse peule ramenée du Sénégal ; ou encore Hafid, métis révolté, Ben Jelloun déploie une fresque sociale ou le respect, valeur cardinale des sociétés traditionnelles, se révèle tour a tour pilier identitaire, instrument de domination et ferment de révolte. L’auteur, connu pour son engagement en faveur des marginaux et son exploration des tabous culturels, utilise ici la fiction comme un miroir critique des dynamiques postcoloniales marocaines.


Extrait du texte de
Dominique Tabone-Weil

L’analyste respectueux…

Quelques remarques générales

La notion de respect est à l’honneur semble-t-il dans le monde contemporain, en tous les cas sous nos latitudes. Souvent on y fait référence en se plaignant de son absence : il ne me respecte pas, il ne sait pas se faire respecter, les droits de telle ou telle catégories de citoyens ne sont pas respectés, etc.

Si on s’intéresse ce qui est toujours informatif, a l’étymologie du mot on trouve (dictionnaire en ligne de l’académie française) une origine latine. D’une part, le verbe respicere qui signifie regarder en arrière (de specere, regarder), d’autre part le substantif respectus qui indique l’action de se retourner. Ce qui va avec le respect d’une promesse, d’un engagement, d’un contrat ou bien le respect en tant que considération portée a quelqu’un au regard de ce qu’on sait qu’il a fait, été. Déférence indique le même dictionnaire portant a considérer quelqu’un avec de grands égards, voire vénération. Donc initialement le respect semble s’adresser a quelqu’un qui est d’une façon quelconque supérieur ou exceptionnel.


Extrait du texte de
Christian Cavaillé

Respect, irrespect et lutte pour la reconnaissance

Inactuelle et actuelle, la question du respect est omniprésente dans les situations ordinaires ou exceptionnelles, dans les méditations des philosophes, dans les refrains et couplets des rappeurs, dans nombre de débats. Le respect consiste à se tenir à une certaine distance de l’être pris en considération et à distance d’autres attitudes possibles. Il prend diverses formes et il a pour négatif l’irrespect. Il est ainsi doublement en question : par rapport (respectivement !) à d’autres attitudes et a l’irrespect dans les multiples situations ou nous avons à décider de ce qu’il faut respecter et de quelle façon le respecter.

Les façons de respecter

Procédant de respectus et donc de respicere ainsi que de spectare le « respect » est traditionnellement une estime qui implique des égards avec un regard vers quelque chose ou quelqu’un méritant considération et un regard en arrière pour s’assurer qu’un engagement est tenu, qu’une règle est suivie.


Extrait du texte de
Raja Jadlaouir

L’éco-critique dans L’arbre Yama de J.M.-G Le Clezio : une réflexion éthique sur le respect de la nature

« Le respect » est un mot a connotations sémantiques variées vu qu’il pourrait être a la fois un sentiment, une attitude ou un principe, et que son emploi pourrait aussi s’accommoder au contexte historique, religieux, éthique, moral et même philosophique. L’usage particulier du lexème « respect » dans la littérature est construit par une transposition d’interprétations dépendantes de la relation entre « qui est respecté » et « qui respecte », et par une annexion de leurs respectives présupposées valeurs personnelle où sociale. Ceci dit, l’utilisation du mot « respect » en littérature a généré un contexte d’usage uniforme, propre à l’Humain, dans une sorte de discours hégémonique, surtout si on se rappelle, par exemple, la philosophie de Kant, selon laquelle « le respect s’applique toujours uniquement aux personnes, jamais aux choses. »
Longtemps, le respect fut l’allié d’une écriture scripturaire vénérant le religieux, la spiritualité et la sainteté ; par conséquent, évoquer littérairement le respect dans le spectre des choses, des animaux, des végétaux et de l’absurde n’était pas mis en lumière de façon explicite afin de démarquer cette valeur. Mais dans les œuvres de certains écrivains, il pourrait s’agir d’une expérience de mise en cause de l’anthropocentrisme et du dogme de la suprématie de l’Homme sur le cosmos.


Extrait du texte de
Sylvie Peyturaux

Le respect de soi : une évidence jamais questionnée

Et pourtant, dès que la réflexion s’enclenche sur cette exigence du
quotidien, il ne vient que des questions…
Il va sans dire que le respect n’est rien sans « marques de respect
» qui le phénoménalisent, qui en sont le témoin, pour ainsi
dire, et que l’autre reconnaît sans peine, comme il sait du reste qu’on ne le respecte pas. Mais comment puis-je me « témoigner » du respect ? Est-ce en prenant soin de mon corps ou de mon apparence ?
Est-ce en m’efforçant de garder en toute circonstance la maîtrise
de mes passions, de ma conduite, de mes paroles, ma « dignité »
comme l’on dit ? En tâchant de rester de marbre dans la souffrance,
comme le Lacédémonien sous la morsure du renard ? Est-ce en exigeant d’autrui le respect qui me semble du ? Sans doute tout cela a la fois, et c’est bien ce qui complique les choses. Car comment faire la part du narcissisme, de la vanité, de l’arrogance, voire de l’orgueil, et du véritable respect ?


Extrait du texte de
Ewa Lewinson

Faut-il respecter les textes dramatiques ?

« Le respect, toujours le respect ! Le respect n’est dû qu’aux morts et à ces choses non pas dont nous avons usage et besoin. » Ce principe de la modernité absolue, proclamé par Rodrigue dans la Quatrième Journée du Soulier de satin résume parfaitement l’idée de Claudel sur l’art moderne, dont il était grand amateur et théoricien, malgré l’opinion communément répandue sur son conservatisme.
Ne pouvait-il cependant pas prévoir que l’évolution des formes théâtrales allait à l’avenir éliminer la primauté du texte qui constituait le socle même de son théâtre ?
Contrairement a la proclamation de Rodrigue laissant le respect aux morts, ce sont surtout les auteurs morts qui subissent irrespect de leurs textes. Les vivants ont la chance de pouvoir surveiller l’usage fait de leurs écrits sous menace d’arrêter la poursuite des représentations. Les jeunes auteurs inconnus surveillent chaque ligne de leurs textes et chaque coupure doit être âprement discutée, même si elle est proposée dans l’intérêt de l’auteur. Les ayants droits ont également un pouvoir, parfois exorbitant, sur leurs illustres aïeux.
Il est impensable de jouer les pièces de Samuel Beckett autrement que selon ses indications scéniques détaillées, et on n’a jamais vu En attendant Godot autrement que sur un plateau nu avec un arbre au centre, les personnages vêtus d’habits noirs et chapeaux melon. Aucun autre chapeau n’étant autorisé


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