À l’écoute du fleuve Congo : de l’histoire environnementale à l’histoire coloniale dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad
Fabiola Obame*
L’eau occupe une place importante dans le roman Au cœur des ténèbres1 du polonais Joseph Conrad. Tantôt désiré, tantôt craint, le fleuve Congo est un personnage incontournable de ce récit de voyage. Mémoire silencieuse, le Congo conserve, dans ses eaux sombres, les corps de ceux qui y gisent et les secrets honteux des membres de l’administration coloniale. Au XIXe siècle, le rôle de ce fleuve fut en effet essentiel dans l’annexion territoriale. C’est avant tout par bateaux que les voyageurs ont cherché et découvert, au bout d’une longue traversée, les espaces à s’accaparer. Le sort des empires coloniaux définitivement lié à la voie maritime, océans, mers et fleuves sont devenus, pour les colons, la jonction physique et symbolique avec l’Ailleurs.
C’est ce double rapport que révèle le récit de Marlow, le narrateur du roman. Sa voix se déploie de la Tamise au fleuve Congo, en allant plonger ses souvenirs dans la mémoire de l’eau, car, explique-t-il : «rien n’est plus facile pour un homme qui a, selon l’expression consacrée “couru les mers” avec révérence et affection, que d’évoquer le noble esprit du passé sur l’estuaire de la Tamise» (p. 3). Le fleuve devient dès lors un actant narratif qui aide et participe à […]
1 – Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres [1899], Paris, Le livre de poche, 2012. Les références des pages sont données directement dans le texte.
* Fabiola Obame est Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université Paris-Vincennes.
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N°187 – L’eau17,00€