Mémoire d’eau (Michelet via Ferenczi), Éric Benoit

Mémoire d’eau (Michelet via Ferenczi)

Éric Benoit*

J’ai six ans. C’est l’un de mes plus anciens souvenirs de lecture. Un petit livre, mince, illustré de dessins vivement colorés. Le titre était, je crois : Histoire d’une petite goutte d’eau. Je l’avais découvert chez ma grand-mère, sans doute un jour de vacances et d’ennui. Il avait donc appartenu à ma mère, qui l’avait lu dans son enfance. Je ne me souviens plus de son prénom (celui de la petite goutte d’eau), mais il me semble que c’était quelque chose comme Rosette (sans doute en rapport avec la rosée du matin), à moins que ce ne fût Perlette ou Fluette (car l’eau perle et flue).

Sur la première page, la petite goutte d’eau était dans le ciel, là-haut sur un nuage au milieu de ses sœurs heureuses et harmonieuses : petits globules aux yeux souriants, aux joues poupines et potelées, irisées de couleurs d’arc-en-ciel. Puis, le nuage devenait d’un gris sombre et inquiétant, et la petite goutte d’eau, serrée par ses sœurs devenues trop nombreuses, vacillait et se mettait à choir, tête en bas. Chute, catastrophe (on appelle cela la pluie).

Je ne sais plus très bien où elle tombait. Peut-être sur la corolle tremblante d’une fleur de la montagne (au loin, la neige). Puis roulait dans le ruisseau. Elle allait y affronter bien des épreuves (initiatiques). Le mufle énorme et monstrueux d’un bovin qui buvait, mais elle en réchappait. Puis le courant du ruisseau l’entraînait, très vite. Puis approchait un moulin (à eau) : et la petite goutte d’eau était précipitée dans la giration folle de la roue du moulin (au risque, pensais-je, de s’y rompre les os). Mais elle en ressortait, toujours […]

* Éric Benoit est Professeur de littérature à l’Université Bordeaux Montaigne, où il dirige le Centre « Modernités » dans l’Unité de Recherche « Plurielles ». Il est Membre de l’Institut Universitaire de France.


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